Image article

Récit de course : Kim Gaudet au Grand Raid de la Réunion

Quelle course ! Quelle organisation ! Quelle aventure ! Je n’ai pas assez de mots pour décrire tout ce que j’ai vécu durant ces nombreuses heures dans les sentiers ! Je pars seule en direction de La Réunion samedi le 16 octobre. Ça me donne quelques jours pour me reposer du décalage horaire, qui est en avance de 8h sur le Québec. J’atterri à 8h00 lundi matin. L’air chaud ressentie à l’aéroport me fait du bien. L’affiche d’arrivée typique à l’aéroport de La Réunion me permet de réaliser que j’y suis vraiment. Des bénévoles du Grand Raid nous accueillent avec joie et enthousiasme à la sortie de l’aéroport pour nous souhaiter la bienvenue chez eux. Un petit présent d’arrivée nous est donné. Wow ! Quel bel accueil ! Direction Central Hôtel, avec ma petite Hyundai i10, où j’y suis très bien accueillie également ! Une grosse journée qui se termine tardivement. 

1ere journée rapidement entamée par la longue nuit de sommeil de 13h pour récupérer quelque peu du long voyage. Malgré cela, c’est le temps d’explorer des montagnes ! Je me sens encore fatiguée et mon efficacité à gérer cette exploration n’est pas à son top. Je décide d’aller au Piton Maido par la route et explorer le sentier à proximité. Je monte la route en lacet et réussis à aller voir le coucher de soleil au sommet à la course. Quelques km à peine. Un soleil flamboyant au-dessus des nuages demeure unique à mes yeux. 

Le jour 2 est levé. J’ai appris la veille que le Piton de la Fournaise présentait des activités sismiques avec un risque d’éruption imminent. Il est tout juste fermé au public alors j’opte pour aller balader au haut de son enclos. Me retrouver au-dessus des nuages offre cette sensation particulière de zénitude me permettant de m’imprégner de ce moment méditatif. J’admire les couleurs arc-en-ciel du soleil couchant. Je me sens vraiment bien. 

Déjà mercredi, jour 3, jour de remise des dossards. Je suis invitée à la Conférence de Presse de 10h du Grand Raid de La Réunion. La nouvelle organisation du Grand Raid y est présentée. Chaque directeur de course est animé face à l’amorce de l’événement 2021. C’est ensuite le tour des coureurs élites à être invités sur la scène. Des coureurs français et réunionnais y sont présentés. J’y fais partie en tant que canadienne. Je suis excitée d’être aux côtés de tous ces grands trailers. Je réussis à discuter avec Benoît Girondel et obtient une photo avec lui. Super sympathique, il aimerait bien voyager prochainement au Québec et même y faire une course. Je lui en ai venté quelques-unes dont principalement le 100 miles du QMT. Il a fait ma journée ! 

4e journée à la Réunion. La veille de la course, je déguste de la nourriture créole, explore une partie du Dos d’âne et décide d’aller à la plage de Boucan-Canot pour relaxer et analyser une dernière fois le parcours et faire de la visualisation. Je finis par la visite de la Vanilleraie étant fan de cet arôme succulent. Malheur, rendu à l’hôtel en voulant charger mes appareils électroniques je crois avoir laissé sans le savoir mon fil de charge de montre à la plage. Mais il fait nuit… Je retourne alors ma chambre et ma voiture à l’envers. Pas de fil. Des larmes commencent à couler. Je suis dans un lieu si grandiose, je m’en vais faire une course d’un niveau de difficulté intense et je n’aurai aucun repère de temps ni de distance. Je me senti soudainement très petite ! Je dois me rendre à l’évidence que je courrai sans ces repères rassurants. Naît alors l’idée d’aller m’acheter une montre à aiguille, pour au moins afficher le temps. Je me parle. Je me calme. Je me dis de garder confiance en moi. Du genre à tenter le tout pour le tout avant de déclarer forfait, je décide d’aller à la plage faire mes recherches, pas de fil. Je vais à la Vanilleraie, pas de fil. Je reviens donc à l’hôtel, avec la conviction que j’aurai tenté de le retrouver. Ça sera une course avec une montre à aiguille. Disons que ça bouleverse un « mindset ». Mais je me ressaisie rapidement.  

5e Journée. 22 octobre, vendredi matin de la course. M’étant couchée tard la veille avec l’aventure du fil de recharge, de St-Paul à Ste-Suzanne, je finalise mon sac d’hydratation et mon drop bag du 68e km à Deux-Bras. J’en aurai un 2e pour l’arrivée. C’est encore assez loin comme 1er drop bag maintenant que j’y réfléchis. Pour mettre en contexte, en Europe, cela peut paraître futile mais tu ne reçois pas d’épingle avec ton dossard. Je réalise ce matin-là que je n’ai pas d’épingle! Je me dis donc que je tenterais d’en trouver en cherchant une montre de fortune à St-Denis. En course, j’aime le jus de légume. Mais il n’y a pas de Garden Cocktail en Europe. En épicerie, j’ai réussi à trouver un gobelet de potage liquide au légume. Quel délice ! J’aurai ça dans mon drop bag. 13h30, je quitte l’hôtel avec mes 3 sacs. Puis, montre à aiguille achetée, un stress de moins. Mais toujours pas ces épingles. Je verrai sur le site de course. Pas le choix. Je marche jusqu’au Barachoix où se situe la navette de 14h30 direction Cilaos en passant par le Piton des neiges. C’est l’environnement le plus majestueux que j’ai vu de mes yeux ! Grandiose, féerique, cette nature nous reste sans mot ! Des routes en tête d’épingle (en voilà!), au nombre de 400, on zigzague au travers des flancs de montagne. Le chauffeur de bus est un vrai pilote. À ma droite, c’est le flanc de montagne. Les klaxons annoncent l’intention de prendre la courbe. C’est exigu comme route et les paysages sont époustouflants.  

Enfin rendus ! Ça y est, après 4h de bus. Le départ est dans 2h encore. Nous sommes dans un bâtiment à l’abri du vent et de la fraîcheur. Je fais un LIVE avec mon copain et avec mes amis Stephan et Audrey du Saguenay. Une idée leur vient, de chercher quelqu’un avec son fil de montre. Ce n’est pas fou ! Je suis entourée de gens qui vont courir longtemps, très longtemps. Assurément que quelqu’un d’entre eux aura son fil pour recharger sa montre. Après 2 essaies, je tombe sur un ! Ludovic Roussel, #5572! Je lui dis: Tu fais ma journée ! Je suis spontanée dans la vie et lui fais un « colleux » de remerciement ! J’ai encore du temps pour recharger ma montre qui est à 15%. Ah oui et personne n’a d’épingle… L’enclos de départ est ouvert, on doit s’approcher. Je suis supposée redonner le fil à Ludovic mais je ne le trouve pas. Ma montre est à 58%. Je me fais appeler pour prendre part à la ligne des élites. Je me sens mal de partir sans le lui remettre. Mais je ne peux rien y changer. Merde, mon dossard n’est toujours pas fixé sur mon devant de chandail. Ma mère m’avait donné un long bout de ficelle pour une potentielle corde à linge à l’hôtel qui n’a pas abouti. Je l’avais utilisé pour condenser la veste de pluie. J’allume que la corde servira à tenir mon dossard. Inhabituel pour moi de prendre un départ Élite, ça se bouscule dès le coup d’envoi. Un peu comme à la natation lors d’un triathlon. Je me dis, bon, ça ne durera pas trop longtemps. Je me souviens qu’une invitée au Podcast Pas sorti du bois en avait parlé. 

On commence par une route roulante précédant la montée du Piton des neiges. Dommage qu’il fasse noire car la vue des sentiers en lacets est supposément magnifique ! Les Réunionnais sont vraiment forts en monté. Moi, je monte à ma vitesse, sachant que nous n’en sommes qu’aux balbutiements de ce long ultra. Au premier ravito, je tourne à 2h17. Ça me satisfait puisque j’avais prédit près de 2h, ne sachant pas trop à quoi m’attendre comme sentier. Je me suis référée au temps qu’Elizabeth Cauchon avait fait il y a 2 ans pour m’aider à me repérer dans la course parce que c’est une des athlètes qui m’inspire beaucoup depuis mon 1er ultra. Ça m’encourage! Une belle descente technique m’attend, sachant que je me débrouille bien en « downhill », je réussis à dépasser près d’une centaine de coureurs et pas loin de cinq à huit filles. Je rencontre également un Réunionnais qui m’épargne un face à face avec un rocher. Fredo, super sympathique. Il connait bien les sentiers de son île mais c’est son 1er ultra, qu’il décide de faire au Grand Raid. Je me sens très efficace aux ravitos tant en rapidité et qu’en fluidité. Avant la 2e ascension, je suis maintenant 5e fille ! Wow ! C’est épatant ! Je cours selon mes sensations, confortable, je gère bien mon effort. On devait débuter la course avec notre chandail officiel du TDB jusqu’au 2e ravito. Et celui-ci est au sommet de cette deuxième montée. Je crois bien que j’aurais dû l’enlever avant. Malgré la nuit tombée, il fait une forte chaleur et peu de vent pour se rafraîchir. Je suis détrempée de sueur, ça dégoûte. Malgré mon hydratation, j’ai l’impression que je ne réussis pas à assimiler l’eau que je bois. Elle demeure dans mon estomac tout comme mes oranges. Mon sirop d’érable et mon gel sucré m’aident malgré tout à conserver cette énergie qui perdure. C’est la température de la fournaise qui ne veut pas descendre. Je le sens. Je m’éponge le visage d’eau fraîche constamment, je ralentie dans la longue monté. Il est trop tard. Je salive. Tsé ce signe qui vient avant de… Voilà.  

Malgré la conscience de cette chaleur insupportable, le coup de chaleur est apparu plus vite que je ne l’ai vu arriver. Je suis maintenant beaucoup plus à l’écoute de mon état de santé. J’étais à la fois triste, incertaine à savoir si j’allais aller mieux. J’avançais les yeux pleins d’eau… pleine d’optimisme car le désir de continuer d’avancer comptait plus que tout et ce jusqu’à l’arrivée, peu importe le temps qu’il me faudrait. Je devrais donc ralentir, être encore plus prudente vue la chaleur environnante qui continuait de grimper. Marcher longtemps, le deuil de courir sur des sentiers plats pour baisser ma température corporelle. Ce serait la clé pour y arriver. Côté physiologique, le corps qui veut se refroidir envoie le sang en périphérie et délaisse l’estomac en grande majorité. Il faut donc des substances simples à absorber. Ça je le savais, c’est pourquoi j’avais prévu des purées, du sirop d’érable, des barres de fruits et des fruits. Mais je n’avais pas prévu que l’eau ne serait pas assimilée. J’ai donc dû me résilier à marcher les 10-15 km ou même voir les 20 suivants pour me rafraîchir malgré le petit vent extérieur insuffisant qui soufflait sur ma peau. Je montais lentement. Autant j’encourageais des coureurs qu’eux m’encourageaient. C’était vraiment agréable de discuter avec des gens originaires de la France et de la Réunion durant la course. Et je crois qu’ils apprécient l’accent québécois français. C’était une belle ambiance familiale.  

Le soleil se lève, je réussis à mieux assimiler ce qui est d’eau et de nourriture ce qui m’apaise et me redonne un élan de confiance. Près de 6h du matin, j’arrive à Marla. J’y rencontre un québécois, Éric Drolet, en vacances sur l’île pour plusieurs semaines. Je le connais par l’entremise d’amis mais c’est comme si on se connaissait depuis longtemps. Il m’accompagne jusqu’à Les Oranger. De la compagnie ça fait du bien ! On entre dans le Cirque de Mafate. Que c’est beau ! Mais que c’est chaud ! Les degrés ne font que monter. L’air est brûlant tant sur la peau que dans les poumons. Le soleil est de plomb. Je me sens dans un fourneau, les nuages sont peu présents. Je fais avec, prends des pauses à l’ombre durant les montés, profite des petits cours d’eau pour m’inonder la tête d’eau fraîche. Jusqu’à maintenant, bien que je chauffe au moindre effort, je suis vraiment confiante de poursuivre mon aventure à un rythme que je me suis approprié et qui me permettra de rallier la ligne d’arrivée. Ça sera un pas à la fois, en priorisant la marche. Arrivée à Deux pas, je savoure mon potage aux légumes, change mes shorts, bas et souliers, mes pansements de zone de friction sur les cuisses et je repars. Je réussis encore à être efficace et rapide aux ravitos et à devancer quelques femmes et hommes. Se balader au centre de Mafate était féerique. Traverser ces rivières était un pur et agréable rafraîchissement.  

La Réunion ne pardonne pas en D+. Ça grimpe beaucoup, faut se le dire, et ça n’est en rien comparé à ce qu’on a au Québec. Des marches, il y en a tout le temps ! Le Dos d’Âne est plus que caniculaire. Des gens sont allongés au sol à l’ombre, derrière une roche, les yeux fermés à se reposer, un qui surveille son acolyte Fou de la Diagonale en train de dormir. Certains voient ça comme un moral d’acier mais tous dans cette trail agissent un peu par la folie, à leur façon. Mais c’est une belle folie ! Je rallye un ravito à la fois, espérant que ma montre durera longtemps encore. Avant Possession, elle rend l’âme mais bon, il ne reste « que 25km » à franchir sur les 106! Je retranche une autre femme à ce ravito. Un coureur que je m’apprête à dépasser en courant me crie: « ah mais si c’est pas la canadienne ! » C’est Ludovic, mon prêteur de fil (dont j’ai toujours en ma possession!). Sa montre est morte, je partage son deuil. On a dû plaisir quand même à courir, c’est ce qui compte. Notre but, faire sous les 30h et éprouver du plaisir jusqu’à la ligne d’arrivée.  

La monté des roches plates fût chaude au début, le rafraîchissement était difficile malgré l’eau sur la tête et l’hydratation continuelle. Perdure la routine des pauses. Une route pentue parsemée de roches au sol. Un jeu, sauter de roche en roche (le sol c’est de la lave), sur des kilomètres. Ça commence à être ennuyeux et plate, c’est le cas de le dire! La fraîcheur gagne du terrain sur la chaleur. Je réussis à augmenter la cadence me refroidissant relativement bien. Une réunionnaise habitant depuis peu en France, me rejoint dans une des montées. Elle grimpe vraiment bien. Je maintiens son rythme. Je suis contente puisque la fraîcheur me le permet. On discute. Je la perds de vue avant la Chaloupe, s’arrêtant pour un ravito improvisé par ses parents et amis. J’aurais apprécié rester avec elle mais je préférais poursuivre mon chemin et potentiellement en rattraper d’autres.  

Je monte jusqu’au Colorado avec aisance et détermination. J’éprouve de nouveau du plaisir à repousser mes limites! Enfin ! Je chauffe mais ça se contrôle bien avec le vent frais. Il ne m’en reste peu à faire. Je dois gérer « A1 » jusqu’à la fin. Au Colorado, ravito rapide puisqu’il ne reste que 4.8 km de descente. Il y a une femme sur le TDB. Elle part aussitôt, s’assurant possiblement que je ne puisse la rattraper. Ma stratégie : prendre 1 grand verre de coca, deux quartiers d’orange et descendre à toute vitesse, ma spécialité. À peine deux cents mètres et je dépasse la femme en fuite. J’ai cru percevoir un étonnement à me voir à l’aise de courir encore à cette étape.  

La fin, un sentier « Made in Quebec ». Des racines, des roches, du sable. Je décide de m’amuser même si mes quadriceps me disent qu’ils en ont assez. Ma tête elle non ! Je descends avec aisance, certains coureurs se demandent comment je fais pour courir là-dedans, je souris. Plus j’avance, plus j’entends le présentateur présent à la ligne d’arrivée. Elle semble si loin mais si près en même temps, ironique ! La frénésie approche ! 
Enfin rendu en bas ! Il ne reste qu’à entrer sur le site de course. Me voilà à peine entrée dans l’enceinte que j’ai la gorge qui me serre. Émotive de bientôt franchir cette ligne marquant un immense accomplissement ! Éric Drolet et Line Pelletier courent avec moi à mon arrivée. Ils sont tout aussi excités que moi. J’ai les larmes aux yeux. J’ai enfin réussi à traverser ce sentier caniculaire, j’ai vaincu le Trail de Bourbon !

Durant ces 27h, j’ai arrêté le temps. Mes priorités furent le plaisir, le partage, le dépassement de soi, le respect de mes sensations. Mission accomplie ! Je vous le dis, voir tous ces participants à ce Grand Raid nous fait réaliser combien de gens ont l’aspiration du dépassement de soi dans un sport aussi merveilleux que le trailrunning. Un ultra, c’est comme une vie. Chaque seconde est empreinte de milliers de moments avec soi-même, riches d’émotions variées. On y fait d’énormes apprentissage sur soi et sur les autres. On grandit en tant que personne. Tantôt la gorge serrée accompagnée de larmes de déception, tantôt la gorge serrée avec des larme de fierté. Ce Trail de Bourbon, c’était mon 3e ultra complété. Je me sens encore toute jeune dans cet univers fascinant qu’est l’ultratrail et j’estime que j’ai encore beaucoup à apprendre. Celui-ci fût le plus difficile des trois, mais ce ne sera assurément pas le dernier. Merci à Quebec Megatrail de m’avoir permis de prendre part à cette aventure unique. Merci au Grand Raid de la Réunion, une grandiose organisation, pour leur chaleureux accueil. J’en garde de fabuleux souvenirs.